ISAAC ASIMOV Texte Nouvelle LA MACHINE QUI GAGNA LA GUERRE

 

Nouvelles de science-fiction

Isaac Asimov
La Machine qui gagna la guerre

(en anglais: The Machine that Won the War)

(1961)

 

Nouvelle de science-fiction de guerre

Texte complet traduit en français

Littérature de science-fiction américaine

 

La Machine qui gagna la guerre ” (en anglais: The Machine that Won the War) est une nouvelle de science-fiction d’Isaac Asimov, parue pour la première fois en octobre 1961 dans le magazine The Magazine of Fantasy & Science Fiction.

On la trouve en édition française dans les livre recueils “Le Robot qui rêvait” et “Jusqu’à la quatrième génération”.

Résumé de la nouvelle de science-fiction de Isaac Asimov “La Machine qui gagna la guerre”: La Terre fête sa victoire dans une guerre difficile face à Deneb, victoire officiellement remportée grâce au super-ordinateur Multivac.

C’est le moment pour le Lamar Swift, directeur de la Fédération Solaire, et ses deux plus proches collaborateurs de faire le bilan de dix ans de conflit.

Vous pouvez lire ci-dessous le texte intégral de la nouvelle de science fiction “La Machine qui gagna la guerre” de Isaac Asimov traduite en français.

La version anglaise originale de l’histoire “La Machine qui gagna la guerre” (en anglais: The Machine that Won the War) d’Isaac Asimov est disponible sur yeyebook.com en cliquant ici.

Dans le menu en haut ou à côté, vous trouverez l’histoire de guerre d’Isaac Asimov “La Machine qui gagna la guerre” traduit en d’autres langues: italien, allemand, espagnol, chinois, etc.

Bonne lecture et de bonne machine.

 

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Isaac Asimov

La Machine qui gagna la guerre

 

Littérature fantastique

Texte intégral traduit en français

 

          La fête était loin d’être finie et, dans les profondeurs silencieuses des salles souterraines du Multivac, elle planait dans l’air. Le plus remarquable, c’était l’isolement et le silence.

Pour la première fois depuis dix ans, aucun technicien ne courait, çà et là, dans les entrailles de l’ordinateur géant, les lumières tamisées ne clignotaient pas selon leurs schémas erratiques, le flot d’information s’était tari, dans un sens comme dans l’autre.

L’arrêt ne durerait pas longtemps, bien sûr, car les besoins de la paix étaient pressants. Mais, en attendant, pour une journée, une semaine peut-être, même le Multivac avait le droit de fêter ce grand moment, et de se reposer.

Lamar Swift ôta sa casquette militaire et regarda dans le corridor principal désert de l’énorme ordinateur. Il s’assit, assez lourdement, sur un des tabourets à pivot des techniciens, et son uniforme, dans lequel il n’avait jamais été à l’aise, prit un air lourd et fripé.

— Tout cela va me manquer, dit-il, d’une façon un peu macabre. C’est dur de se rappeler le temps où nous n’étions pas en guerre contre Deneb, et cela paraît contre nature, aujourd’hui, d’être en paix et de contempler les étoiles sans anxiété.

 

Les deux hommes accompagnant le directeur général de la Fédération solaire étaient plus jeunes que Swift. Ni l’un ni l’autre n’étaient aussi grisonnants. Ni l’un ni l’autre ne paraissaient aussi fatigués.

John Henderson, les lèvres minces et réprimant difficilement le soulagement qu’il éprouvait en plein triomphe, s’exclama :

— Ils sont détruits ! Ils sont détruits ! C’est ce que je me répète inlassablement, et je n’arrive toujours pas à le croire. Nous avons tous tellement parlé, pendant de si longues années, de la menace en suspension au-dessus de la Terre et de tous ses mondes, au-dessus de chaque être humain ! Et c’était vrai, absolument vrai ! Et maintenant, nous sommes en vie, et ce sont les Denebiens qui sont brisés et détruits. Ils ne nous menaceront plus, plus jamais !

— Grâce au Multivac, murmura Swift en jetant un coup d’œil discret vers l’imperturbable Jablonsky, qui durant toute la guerre avait été le principal interprète de l’oracle de la science. Pas vrai, Max ?

 

Jablonsky fit un geste vague. Machinalement, il prit une cigarette mais se ravisa. Lui seul, parmi les milliers qui avaient vécu dans les souterrains à l’intérieur du Multivac, avait eu le droit de fumer mais, vers la fin, il avait fait de réels efforts pour ne pas profiter de ce privilège.

— Enfin, c’est ce qu’ils disent, grommela-t-il.

Son pouce spatulé se leva en direction de son épaule droite, et vers le haut.

— Jaloux, Max ?

— Parce qu’ils acclament le Multivac ? Parce que le Multivac est le grand héros de l’humanité, dans cette guerre ? (La figure burinée de Jablonsky exprimait un mépris absolu.) Qu’est-ce que ça peut me faire ? Que le Multivac soit la machine qui a gagné la guerre, si ça peut leur faire plaisir !

 

Du coin de l’œil, Henderson observa les deux autres. Durant ce bref intermède que tous trois avaient instinctivement recherché, dans le seul recoin paisible d’une métropole devenue folle, durant cet entracte entre les périls de la guerre et les difficultés de la paix où, pour un moment, chacun trouvait un sursis, il n’avait conscience que du poids du remords.

Soudain, ce poids devint trop grand pour être porté seul. Il devait le rejeter, avec la guerre, immédiatement !

— Le Multivac n’a rien à voir avec la victoire, dit-il. Ce n’est qu’une machine.

— Énorme, dit Swift.

— Oui, rien qu’une énorme machine. Qui ne vaut pas plus que l’information qu’on lui programme.

 

Henderson s’interrompit, soudain effrayé par ce qu’il disait. Jablonsky le regarda, ses doigts épais cherchant encore une cigarette et se ravisant, une fois de plus.

— Vous devriez le savoir. C’est vous qui avez fourni l’info. À moins que vous ne vouliez simplement vous attribuer tout l’honneur ?

— Non ! protesta Henderson avec colère. Il n’y a pas d’honneur. Qu’est-ce que vous savez des renseignements que le Multivac a dû utiliser, prédigérés par cent ordinateurs subsidiaires ici, sur Terre, sur la Lune, sur Mars, et même sur Titan ? Avec Titan toujours en retard, et ce sentiment perpétuel que ses chiffres vont introduire un préjugé inattendu.

— Oui, il y a de quoi devenir fou, dit Swift avec une aimable compassion.

 

Henderson secoua la tête.

— Pas seulement ça. Je reconnais qu’il y a huit ans, quand j’ai remplacé Lepont comme chef programmeur, j’avais le trac. Mais les choses étaient encore exaltantes, à l’époque. La guerre était encore à longue portée, une aventure sans danger réel.

Nous n’en étions pas encore au point où des vaisseaux habités devaient prendre la relève, et où des fissures interstellaires pouvaient carrément avaler des planètes entières, si c’était bien visé. Mais alors, quand les vraies difficultés ont commencé… Vous n’en savez rien du tout ! conclut-il, rageusement, car il pouvait enfin se permettre la colère.

— Eh bien, racontez-nous, dit Swift. La guerre est finie. Nous avons gagné.

— Oui, reconnut Henderson. (Il hocha la tête, en se disant qu’il devait se souvenir que la Terre avait gagné, donc tout avait été pour le mieux.) Mais alors, toute la programmation a perdu sa signification.

 

— Perdu sa signification ? Vous parlez littéralement ? demanda Jablonsky.

— Littéralement. Qu’est-ce que vous croyez ? L’ennui, avec vous deux, c’est que vous n’étiez pas dans le bain. Vous n’avez jamais quitté le Multivac, Max, et vous monsieur le directeur, vous n’avez jamais quitté la Demeure, sauf pour des visites officielles où l’on vous faisait voir strictement ce qu’on voulait vous faire voir.

— J’en étais plus conscient que vous ne le croyez, dit Swift.

— Est-ce que vous savez, insista Henderson, dans quelle mesure les renseignements concernant notre capacité de production, notre potentiel de ressources, notre main-d’œuvre entraînée – en somme, tout ce qui est important pour l’effort de guerre – étaient devenus sujets à caution, douteux, durant la seconde moitié de la guerre ? Les chefs de groupe, civils et militaires, cherchaient à projeter leur propre image améliorée, pour ainsi dire, ils estompaient donc le mauvais et faisaient ressortir le bon.

Quoi que pussent faire les machines, les hommes qui les programmaient et interprétaient les résultats pensaient à leur propre peau, et à leurs concurrents à abattre. Il n’y avait aucun moyen d’empêcher ça. J’ai essayé et j’ai échoué.

— Naturellement, dit Swift en manière de rapide consolation. Je le comprends bien.

 

Jablonsky finit par se décider à allumer sa cigarette.

— Pourtant, je présume que vous avez fourni des renseignements au Multivac, avec votre programme. Vous ne nous avez jamais dit qu’il était sujet à caution.

— Comment aurais-je pu vous le dire ? Et même si je l’avais fait, auriez-vous pu vous permettre de me croire ? demanda farouchement Henderson. Tout notre effort de guerre était axé sur le Multivac. C’était la grande arme, pour notre camp, car les Denebiens n’avaient rien de semblable.

Qu’est-ce qui a soutenu le moral face au désastre, sinon la certitude que le Multivac saurait toujours prédire et circonvenir tout mouvement denebien, et saurait toujours diriger et prévenir le débordement de nos manœuvres ? Nom du Cosmos ! Quand notre gauchisseur-espion a été détruit dans l’hyperespace, nous n’avons plus eu de renseignements denebiens sûrs à introduire dans le Multivac et nous n’allions quand même pas crier ça sur les toits !

— C’est assez vrai, reconnut Swift.

— Eh bien, alors, reprit Henderson, si je vous avais dit qu’on ne pouvait pas se fier aux renseignements, qu’est-ce que vous auriez pu faire, sinon me remplacer et refuser de me croire ? Je ne pouvais pas me le permettre !

 

— Qu’avez-vous fait ? demanda Jablonsky.

— Comme la guerre a été gagnée, je vais vous le dire. J’ai rectifié les renseignements.

— Comment ? demanda Swift.

— À l’intuition, je suppose. J’ai jonglé avec eux jusqu’à ce qu’ils me paraissent justes. Au début, je l’osais à peine. Je changeais un petit détail par-ci, par-là, pour corriger ce qui était manifestement impossible. Comme le ciel ne nous est pas tombé sur la tête, je me suis enhardi. Vers la fin, je ne m’en souciais même plus. J’écrivais simplement les renseignements nécessaires, au fur et à mesure des besoins. J’ai même fait préparer des renseignements pour moi par le Multivac Annexe, selon un schéma de programmation personnel, que j’avais mis au point dans ce but particulier.

— Des chiffres au hasard ? dit Jablonsky.

— Pas du tout. J’ai introduit un certain nombre de bases nécessaires.

 

Jablonsky sourit, d’une manière tout à fait inattendue, ses yeux noirs pétillant entre ses paupières plissées.

— Trois fois, un rapport m’a été communiqué sur des utilisations non autorisées de l’Annexe, et à chaque fois, j’ai laissé passer. Si cela avait eu de l’importance, j’aurais enquêté et je vous aurais démasqué, John, j’aurais découvert ce que vous faisiez. Mais, naturellement, Multivac n’avait déjà plus aucune importance, alors vous vous en êtes tiré.

— Comment ça, plus aucune importance ? s’exclama Henderson d’un air soupçonneux.

— Rien n’en avait. J’aurais dû vous avertir, sur le moment. Cela vous aurait évité bien de la douleur mais aussi, si vous m’aviez raconté ce que vous faisiez, vous m’en auriez bien évité, à moi. Qu’est-ce qui vous faisait penser que le Multivac était en état de marche, quels que soient les renseignements que vous y introduisiez ?

 

— Pas en état de marche ? s’étonna Swift.

— Pas vraiment. Pas avec sûreté. Après tout, où étaient tous mes techniciens dans les dernières années de la guerre ? Je m’en vais vous le dire. Ils programmaient tous des ordinateurs sur mille engins spatiaux différents. Ils étaient partis ! Je devais me débrouiller avec des gosses en qui je n’avais guère confiance, ou avec des vieux complètement dépassés. D’ailleurs, pensez-vous que je pouvais me fier aux éléments à l’état solide venant de la Cryogénie, au cours des dernières années ? La Cryogénie n’était pas plus gâtée que moi, rapport au personnel. Il m’importait peu de savoir que les renseignements fournis au Multivac étaient sûrs ou non. Les résultats n’étaient pas sûrs. Ça, je le savais !

— Qu’est-ce que vous avez fait ? demanda Henderson.

— La même chose que vous, John. J’ai introduit « le facteur pif ». J’ai modifié les choses selon mon intuition, et voilà comment la machine a gagné la guerre !

 

Swift se renversa en arrière contre son dossier et allongea ses jambes devant lui.

— Quelles révélations ! Ainsi, tout ce qu’on me remettait pour me guider et m’aider à prendre des décisions était une interprétation intuitive de renseignements intuitivement fabriqués. C’est bien ça ?

— On dirait, avoua Jablonsky.

— Dans ce cas, j’ai eu raison de ne pas m’y fier, déclara Swift.

— Vous voulez dire que… ! s’écria Jablonsky.

Malgré ce qu’il venait d’expliquer, il se sentait professionnellement insulté.

 

— Eh non ! Le Multivac me disait, par exemple : « Frappez ici, pas là-bas ! Faites ceci, pas cela ! Attendez, n’agissez pas ! » Mais je n’étais jamais sûr que le Multivac disait réellement ce qu’il avait l’air de dire, ou si ce qu’il disait était la vérité. Je n’en étais jamais certain.

— Mais le rapport final était toujours assez clair, monsieur le directeur ! protesta Jablonsky.— Pour ceux qui n’avaient pas à prendre la décision, peut-être. Pas pour moi. L’horreur que j’éprouvais de la responsabilité de ces décisions était intolérable, et même le Multivac ne suffisait pas à me soulager de ce poids. Mais le fait est que j’avais raison de douter, et c’est pour moi un immense soulagement.

Pris dans la complicité des confessions mutuelles, Jablonsky ne se soucia plus de protocole ni des titres.

— Alors qu’est-ce que vous avez fait, Lamar ? Vous avez bien fini par prendre des décisions, après tout. Comment ?

— Eh bien, il est temps de retourner là-bas, peut-être, mais… je vais vous le dire. Pourquoi pas ? Je me suis bien servi d’un ordinateur, Max, mais d’un appareil bien plus ancien que le Multivac. Infiniment plus ancien.

 

Il chercha dans sa poche son paquet de cigarettes, et le ramena avec une petite poignée de monnaie ; des pièces désuètes, remontant à l’époque précédant la pénurie de métal, avec la création d’un complexe de crédit relié à un ordinateur central.

Swift sourit d’un air penaud.

— J’ai encore besoin de ces pièces, pour que l’argent garde quelque substance pour moi. Un vieil homme a du mal à renoncer aux habitudes de sa jeunesse.

Il mit une cigarette entre ses lèvres et laissa retomber les pièces de sa poche, une par une.

 

Il garda la dernière entre ses doigts, en la contemplant distraitement.

— Le Multivac n’est pas le premier ordinateur, mes amis, ni le mieux connu, ni celui qui peut soulager le plus efficacement du fardeau de la décision les épaules d’un directeur. C’est bien une machine qui a gagné la guerre, John, tout au moins un petit système de calcul très simple, dont je me sers chaque fois que je dois prendre une décision particulièrement difficile.

 

Avec un sourire nostalgique, il lança sa pièce en l’air. Elle scintilla en tournoyant et retomba dans sa main tendue. Il referma les doigts et la retourna sur le dos de sa main gauche. La droite y resta plaquée, cachant la pièce.

— Pile ou face, messieurs ? demanda-t-il.

..

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Isaac Asimov – La Machine qui gagna la guerre 

En anglais: The Machine that Won the War, 1961

Littérature fantastique – Conte courte de guerre

Littérature de science-fiction américaine

Nouvelle fantastique

Texte intégral traduit en français

 

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